Jean-Jacques Lebel ANGELI 2009 32 pages 14 x 14 cm 25.00 €
En préface d’un petit livre intitulé tout simplement les Collages, qui rassemble plusieurs textes écrits de 1923 à 1965, à propos de Max Ernst, John Heartfield et… Jean-Luc Godard, Aragon remarque : « Écrire et peindre, un seul mot signifiant l’un et l’autre dans l’ancienne Égypte, et cela se conçoit, puisque les mots n’étaient pas décomposés en lettres qui soient des transcriptions des sons, mais représentés par des hiéroglyphes figuratifs… […]
[…] Nous ne savons pratiquement rien du divorce qui s’est établi entre la représentation des choses et le nom qu’elles portent. » /// Ce ne sont pas cette alternative et ce divorce qui ont préoccupé Jean-Jacques Lebel. Ou alors, au contraire, la simultanéité et la fusion ont été ses soucis primordiaux. /// Une part majeure des collages de ce passionné de Francis Picabia et de Kurt Schwitters fut réalisée dans des cahiers. C’est dire ainsi la volonté de ne pas distinguer entre « écrire et peindre », pour reprendre les mots d’Aragon. Cahiers ventrus par l’épaisseur des couches de papier, dilatés par le « mille-feuille » d’images détournées de la presse érotique, de la « grande » presse (aussi bien française, anglaise ou italienne) ou de documents savants, enceints des couches de peinture qui cadrent, ourlent, décorent, anoblissent et métamorphosent le matériau pauvre des emballages abandonnés et récupérés… /// Les cahiers de collages n’esquissent ni ne préfigurent. Ils sont des œuvres en soi, définitives : objets d’art lourds de leur cueillette d’images et de mots imprimés qu’ils renferment, agités du souffle qui rapproche et superpose, éclairés du contraste entre les origines des matériaux. /// Tourner les pages de ce fac-similé offre une expérience de lecture-vision – ou vision-lecture ? – singulière. La reproduction ne peut restituer la réjouissante volumétrie informe de certains cahiers originaux, résultat de la curiosité d’un artiste herboriste des brocantes et marchés aux puces de toutes sortes. La qualité d’impression restitue pourtant les mouvements feuilletés d’une pensée traduite en accumulation, en recouvrement, en masquage, en détourage, en agrafage, en arrachage… Car ce qui frappe en effet, c’est la révélation, la démonstration que le collage est en peinture la procédure qui traduit figuralement avec le plus d’évidence la pensée, ses errances et ses trouvailles, ses dérives et ses éclairs. /// Longtemps conservés dans le secret de son atelier, ces cahiers sont montrés aujourd’hui. Jean-Jacques Lebel décide d’ouvrir ces pages-tiroirs qui dévoilent une activité intime. Intime comme on le dit d’un journal, comme on le dit aussi d’une confession. Confession, ici, de la recherche, recherche de formes et de sens, de rythmes et d’assonances, d’équivalences et de contradictions. Les cahiers contiennent les traces du labeur régulier, de l’entraînement rituel, de l’effort acharné pour conjuguer en permanence les dangers de l’improvisation digne d’un musicien et la maîtrise du métier de peintre. /// Les textes, imprimés et manuscrits, ne précisent rien, brouillent plutôt, entraînent au-delà des suggestions que les images imposeraient trop univoquement. Mais les mots, les phrases et les lettres éparses (sigles et abréviations diverses) fonctionnent parfois comme des énigmes que seul le clin d’œil discret mais cultivé à l’histoire de l’art justifie : ainsi ce S. P. Q. R. romain, qui surgit dans une clairière de couleurs, a-t-il un goût de L. H. O. O. Q. duchampien. /// Confession, recherche disais-je… Et donc, doutes ? Oui, probablement… Et le collage est l’écriture, plus certainement, du doute : rapprocher « ce qui est peint et ce qui est feint » pour reprendre une assonance aragonienne dans le texte déjà cité, n’est pas une entreprise innocente pour Jean-Jacques Lebel, lui qui aime tant jouer avec les vices et les pièges du regard pour prouver les vertus de l’art (Dominique Païni).
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