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QUOTIDIENS / LES OBJETS




Jean-Jacques Symul / André Stas QUOTIDIENS / LES OBJETS

2021 96 pages 12 x 17 cm

Couverture souple à rabats

ISBN 9782873404758 12.00


L'objectif de mon travail est de porter un regard singulier sur les objets quotidiens ou plutôt des quotidiens, chaque individu ayant le sien propre. La photographie de ces objets dénués de tout contexte temporel ou matériel, ne donne pas à voir tel ou tel objet que je possède, mais conduit à l'idée de cet objet telle qu'elle peut être perçue par chaque spectateur ; libre à lui de la

re-contextualiser dans sa propre histoire et de lui donner la valeur d'archétype.

Le choix des objets, anciens pour la plupart, est purement subjectif ; il est guidé essentiellement par leur pouvoir évocateur d'un usage antérieur au quotidien. Au départ, les photographies étaient réalisées en noir et blanc, en argentique ; ensuite est apparue la notion de grandeur nature pour une représentation monumentale d'objets de grande taille, toujours en rapport avec les mêmes notions (par ex. : la pelle, le râteau, la chaise…) Cette recherche de la simplicité - ou peut-être de l'évidence des choses - réside autant dans le choix du sujet que dans ma manière de photographier, sans effet, sans modification, sans artifice. Le passage à la couleur découle de l'avènement de la photographie numérique : la photographie est devenue par nature en couleurs. Transformer des images en couleurs en images noir et blanc aurait été, dès lors, un artifice.

Jean-Jacques Symul.


Cette série a fait l'objet d'une exposition au Centre wallon d'art contemporain " La Châtaigneraie " en mai 2021.




Dans la cuisine, le buffet possède deux tiroirs. Le supérieur s’enorgueillit d’être assez bien ordonné ; un bac en plastique à compartiments y sert à sérier verticalement les couverts, horizontalement les cuillères à café et les petits couteaux à légumes dont un japonais particulièrement agressif. À côté de celui-ci, on mettra aisément la main sur les spatules en bois, l’ouvre-boîtes et un « ouvre tout universel » – ustensile très pratique qu’on imagine lauréat d’un ancien Concours Lépine –, divers tire-bouchons dont un précieux bilame antique, magique pour les extractions problématiques, un couteau de sommelier, un limonadier flanqué de trois autres décapsuleurs – l’un recapsuleur, les deux autres kitsch à sou- hait, cadeaux de potes –, deux épluche-légumes de forme diffé- rente, le presse-ail, des ciseaux de ménage, un rabot à fromage, une rape, un fouet, une pelle à tarte assortie d’un grand couteau pour la partager et d’autres bricoles du genre baguettes chinoises, boule à thé, brosse à champignons ou à reluire, cuillères à absinthe. Son frère inférieur a opté bien malgré lui, comme par la force des choses, pour l’Anarchie. Bien sûr, c’est en son sein que se planquent « la tourniquette à faire la vinaigrette, le ratatinordure et le coupe-friture, l’éventre-tomates et l’écorche-poulet » mais noyés

dans un tsunami 100 % Rock’n Brol. Remuez, plongez dans les strates, la maison ne peut tout exposer. Toujours est-il que c’est ici que l’on dénichera, un peu comme dans la drouille d’un marché aux puces – hormis les médocs et les outils rangés ailleurs – le fil et les aiguilles, les punaises et les petits clous, les ficelles à tirer ou non, le ruban adhésif et le tube de colle-tout genre SuperGlu, la boîte d’allumettes « Union Match » et la réserve de cure-dents stérilisés emballés individuellement, des piles neuves, l’une ou l’autre petite ampoule acoquinée avec une cloche de table qui se demande bien ce qu’elle peut foutre là, les lames de rasoir, cutters redoutables, puis d’indispensables pansements adhésifs durables (de dif- férents formats) jouxtant un petit flacon d’Isobétadine, les dés à jouer, quelques trombones non triturés, des réserves de papier à rouler. En quête du compte-fils pour déterminer la nature d’une estampe ou du sablier pour réussir parfaitement la cuisson de son œuf à la coque dominical, on remuera le fourbi, écartant crayons, bics, pinceaux, canif, loupe, sans oublier la pince à linge que magnifièrent Francis Blanche et Pierre Dac sur l’air de la Cinquième de Ludwig van pour nous enchanter via les Quatre Barbus. Mais voici quelques badges, un plaisant magnet qui a perdu son aimant, le taille-crayon en laiton, la pince à épiler ; revoilà du papier collant, prétendument « invisible » celui-ci, les micro tournevis pour rafistoler ses lunettes et le silo à boutons, moult élastiques flirtant avec un chouchou fluo comme les prétendants harcelant Pénélope, les bouts de chandelles entre autres menues choses économisées. On ne sait jamais de quoi on peut avoir besoin... On arrête car on saignote, blessé par quoi, allons savoir. Refermons le capharnaüm d’Ali Baba – le tiroir à tchinis où échouent les camatches – jusqu’à demain sans doute voire tout à l’heure. Si tout se perd ici, tout finit par s’y retrouver, comme à l’instant ce sublime laguiole à manche en corne que l’on pensait à l’instar du Paradis à jamais perdu, retrouvailles justifiant amplement d’être arrosées malgré l’heure. [...] Nougé parlait du « besoin de voir » (l’appétit de l’œil, aurait dit Roland Topor). Le stade suivant devrait être le plaisir de « regarder » car il ne s’agit décidément pas de la même chose. Les choses les plus simples une fois « contemplées » (saine activité méditative se raréfiant à l’âge de l’homo zappiens) génèrent au bout d’un moment de notre part quelque sympathie, un peu comme certains truismes qui révèlent leur modeste part de véri- té en marge des paradoxes. Quelques photos (pas beaucoup) présentent des objets plus rares sinon pour le moins mystérieux. La pince à casser les pains de sucre fait désormais figure d’antiquité, la roulette découpe-pâte ne se trouve pas dans tous les offices, les gobelets pliables en acier inoxydable ne courent ni les rues ni les festivals. Mais à quoi diantre a donc pu précisément servir cet ustensile formé d’un semblant de manche surmonté d’une tige métallique se terminant en parfaite spirale, Cornegidouille? En guise de phrase ultime, permettez-moi de piquer à Jules Verne les mots qu’il fit proférer par Féofar-Khan, chef tatar, en tendant sa main menaçante vers Michel Strogoff : Regarde de tous tes yeux ! regarde !

Extrait de la préface d'André Stas






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