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SYBERBERG / PARIS / NOSSENDORF


Hans Jürgen Syberberg SYBERBERG / PARIS / NOSSENDORF En collaboration avec le Centre Pompidou.

2003 224 pages 12 x 17 cm 18.50


Considéré par beaucoup comme l’un des cinéastes les plus innovants de son temps, Hans Jürgen Syberberg n’a cessé d’interroger depuis le début des années soixante-dix l’histoire allemande et plus largement la culture européenne. Des films comme Ludwig. Requiem pour un roi vierge, Karl May. […]


[…] À la recherche du paradis perdu, Parsifal et cette œuvre monumentale et inclassable qu’est Hitler, un film d’Allemagne ont suscité l’enthousiasme de Serge Daney, Gilles Deleuze, Michel Foucault ou Susan Sontag. D’un essai écrit dans les mois qui ont suivi la réalisation d’Hitler, un film d’Allemagne, en 1978, à des prises de position récentes sur l’état de la culture en ce début de XXIe siècle, en passant par des réflexions sur le théâtre et un hommage au metteur en scène Einar Schleef, les différents textes de Syberberg qui forment ce recueil, choisis et introduits par Christian Longchamp (commissaire d’exposition), donnent des clefs précieuses pour la compréhension de cette œuvre majeure.

Introduction, choix de textes et notes de Christian Longchamp.

Extrait

Introduction


« La nuit qui précéda l’arrivée des Russes, en 1945, le 1er mai, la forêt soudain fut la proie des flammes et explosa à l’horizon de l’enfance. Noire et silencieuse, elle se dressait là-bas pleine des images des contes. C’était la même forêt qu’il traversait, vite, la nuit, au petit jour, en calèche ou en traîneau, pour rejoindre la gare et les trains qui l’emmenaient dans l’Erzgebirge, en été, ou à Schwerin chez des parents au bord du lac, ou une fois à Hambourg, lors des bombardements, et à Berlin.

Mais à présent il se rendait compte que la forêt était un dépôt de munitions ou une usine de guerre, avec des prisonniers russes, dressée là dans la sombre rougeur des flammes qui montaient loin dans le ciel, grondant là à perte de vue.

L’horizon en flammes, et l’enfance avec, les arbres et les bêtes et la campagne entière, et toute proche, la ville des années d’enfance qui brûlait avec des milliers de corps, nageant dans le fleuve rouge de sang où il s’était toujours baigné. Et les murs familiers, les portes et les fenêtres explosèrent, et les jardins, les parcs, les vieilles odeurs de la maison brûlèrent, et les écuries furent vidées, et les cigognes disparurent du toit des étables, et les chemins et les pierres de la ferme, et les charrettes et les harnais des chevaux fabriqués dans l’atelier de la ferme, rien ne fut plus comme avant, le village ne fut plus le village, comme le monde ne fut plus le monde. En une nuit… »

Scène fondatrice. Les désastres de la guerre n’ont jamais eu de frontières. Hans Jürgen Syberberg, à l’âge de neuf ans, perdit son enfance à Nossendorf dans la débâcle finale du IIIe Reich. L’œuvre à venir sera marquée du sceau des ravages que rapportent ces lignes extraites du scénario du film la Nuit (Die Nacht) tourné en 1985. Aux dévastations de la fin de la Seconde Guerre mondiale s’ajouteront ensuite la disparition de la Prusse avec son amputation orientale et la division de l’Allemagne.

Prussien, orphelin prussien d’une terre et d’une culture sacrifiées. Celle du Grand Frédéric, de ses châteaux, de ses églises, de ses parcs et de Kleist, du fougueux Kleist. C’est ainsi que Syberberg n’a eu de cesse de se présenter au risque de heurter. En Allemagne avant tout où l’on considéra, Adenauer le premier, qui s’aligna de la sorte sur les positions des Alliés et des Soviétiques, que la Prusse avait été le « mauvais génie » du Reich et que lui revenait ainsi une très large part de la responsabilité des horreurs des douze années nazies. La Prusse comme bouc émissaire. La faire payer en la détruisant. Longtemps, Syberberg s’est considéré comme un exilé de l’intérieur. Fils d’un propriétaire terrien qui écoutait la BBC clandestinement, qui ne supportait pas la brutalité des nazis et qui prenait des risques en accordant des faveurs aux prisonniers de guerre polonais, belges ou français qui travaillaient sur son domaine, Syberberg s’est souvent autorisé de son histoire intime, douloureuse, intacte de toute marque hitlérienne pour juger très sévèrement les bases sur lesquelles l’Allemagne nouvelle vit le jour. Depuis le début des années soixante-dix, il n’a cessé de mener bataille sur bataille, par des interventions dans la presse, aujourd’hui sur son site internet www.syberberg.de, par la publication de livres de réflexion qui sont autant de pamphlets, pour revendiquer l’existence, au pays de « la société sans joie », d’une autre voie possible pour l’Allemagne actuelle. Une voie qui serait fondée sur la revalorisation de sa culture, trahie par Hitler et volontairement rabaissée, selon lui, par des élites politiques, en grande majorité gagnées par un tropisme américain, qui instaurèrent une représentation du monde construite sur les seuls piliers de la technocratie et de l’économie. Un éloignement de la terre, le sentiment sacrifié sur l’autel de la consommation, la construction de la « démocratie de Bonn » sur la destruction à la fois de la Prusse et de l’imaginaire romantique : Syberberg n’a jamais pu l’admettre et moins encore le pardonner. La grande erreur commise par les Allemands a été, selon lui, de ne jamais avoir eu le courage d’affronter les yeux dans les yeux le « phénomène Hitler » ; par peur, par opportunisme et par manque d’exigence. Conséquence : Hitler serait « revenu par la fenêtre » sous d’autres formes et aurait réduit ce pays – ce sont les mots de Syberberg – à la plus totale misère morale. Il eût fallu inventer un art du deuil et un nouveau rêve sur les décombres de la guerre en accord avec le contrat qui lia jadis, au temps d’Hölderlin ou de Goethe, les Allemands à leur terre. Que dire des positions du cinéaste ? Extravagantes ? Séduisantes ? Pertinentes ? Quel que soit l’accueil que nous réservons à ces positions, elles fondent une œuvre cinématographique unique, extrême, sans aucun compromis. Les lignes ci-dessus les résument brutalement et sans doute injustement. Avant de se prononcer définitivement, il faut regarder ses films et le lire. Un choix de textes inédits parmi de nombreux autres qui attendent encore leur traduction française constituent ce livre. Ils irriteront, scandaliseront peut-être, mais je ne doute pas que certains bouleverseront aussi. Car avec violence et passion, ils manifestent tous la haute exigence de leur auteur vis-à-vis de l’art.

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