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LA HORDE SAUVAGE (Sam Peckinpah)


Fabrice Revault LA HORDE SAUVAGE de SAM PECKINPAH

2007 112 pages 12 x 17 cm 12.50


Nietzsche US. Délirer un film, à partir de lui. Ici, sauvagement – bien entendu. En rompant les amarres gaiement et effrontément, à l'instar de cette Horde sauvage. Où ce grand fou de Peckinpah serait comme un Nietzsche à l'américaine, accédant à la « joie tragique ».


Fabrice Revault est enseignant (Université Paris 8) et essayiste de cinéma. Il a écrit de nombreux livres – sur Dreyer (Gertrud, Yellow Now), Ozu (Gosses de Tokyo, école et Cinéma), Ruiz (Dis-Voir), la Lumière au cinéma (Cahiers du cinéma), le cinéma « moderne » (Yellow Now). Il a piloté un ouvrage posthume de Philippe Arnaud (Les Paupières du visible), et un ouvrage collectif sur João César Monteiro, tous deux chez Yellow Now. Il dirige, avec Marcos Uzal, la collection « Côté films ».

La collection Les Éditions Yellow Now relancent (après « Long Métrage », dix-neuf titres entre 1988 et 1994) une collection de livres constituant une anthologie du cinéma film par film. Chaque titre offre un essai original signé par une plume de qualité, enrichi d’un large choix d’illustrations conçu par l’auteur : un éclairage personnel, tant dans le texte qu’à travers l’iconographie.

Sommaire Rire de mourir Marche tragique, détachée, riante / Le grand choix, néanmoins tragique / Lions vers enfants / « Let’s go » / Meute, harde ou horde / Bacchanale / Pour en finir, dans la « joie tragique » / Ô temps / Ailleurs, autrement (?)

Tant de temps Plus de temps, au pluriel (1) / Plus de temps, au pluriel (2) / Plus de temps, au pluriel (3) / Tenir la « banque », distribuer les cartes / Au train où vont les choses / Tant et temps

Tragique musique Prélude / Chœur tragique, à l’antique / Tragédie et musique, selon Nietzsche / Musicalité du film, apollinienne / Musicalité du film, dionysiaque / Ce n’est quand même pas si tragique

Épilogues Du maniérisme / De la violence / Visions crépusculaires, visions borgnes et attristées / Volupté du devenir, volupté d’anéantir / Rompons et dansons, solaires !

Fiche technique et artistique

Indications bibliographiques


Critique Au fil des années, les purs essais sur le cinéma, ou sur l’art en général, se sont faits plus rares. L’édition s’est clairement scindée en deux voies bien distinctes l’une de l’autre : l’ouvrage de vulgarisation, d’une part, et le livre d’analyse spécialisé et pointu, d’autre part… Une séparation des genres qui résume un certain état de notre société : allons à l’essentiel, ne perdons pas de temps en palabres inutiles, et laissons là les rêveurs et les amoureux.
C’est bien pourquoi le court livre de Fabrice Revault nous procure un plaisir immense : comme le film auquel il s’attache, cet essai prend l’exact contre-pied de la tendance actuelle et se permet de nous exposer dans les grandes largeurs les impressions de l’auteur sur le travail de Sam Peckinpah. Et fait ressortir par là même tout ce qu’un cinéphile peut ressentir de fétichisme énamouré à l’égard d’un film chéri.

Réalisé en 1969, à peine deux ans après que les valeurs du code de censure Hays aient définitivement explosées à la suite de Bonnie & Clyde, La Horde sauvage repousse encore plus loin les limites de la violence et, surtout, de la subversion. 
À l’entame de la lecture, on peut s’étonner de voir apparaître la figure de Nietzsche, se demander si l’on n’est pas tombé une fois de plus sur un de ces ouvrages qui se servent des œuvres pour mieux mettre en avant les qualités du penseur que nous suivons. Et puis, il s’avère bien vite que Fabrice Revault ne convoque le philosophe allemand que pour parler du film de Sam Peckinpah, pour expliquer le caractère de l’action de La Horde sauvage, pour mieux définir les personnages. Dès lors, c’est une façon de pensée qui nous est exposée, et le film ressurgit à nos mémoires de façon neuve et, si on le décide puisque l’auteur nous en laisse le choix, plus éclatante.
L’essai sur La Horde sauvage est avant tout une affaire de style. Et Fabrice Revault – en souvenir sans doute d’un longue tradition journalistique familiale - n’hésite pas à en user, à tel point que le livre s’éloigne souvent de l’analyse pour entrer plus dans les considérations et les points de vue. La position adoptée par l’auteur relève d’une implication si intense que le texte prendrait presque parfois des allures de roman de fiction. Tout ceci ne fait bien sûr que renforcer le plaisir qu’on éprouve à la lecture, et nous projette nous aussi au cœur du film mythique dont il est avant tout question ici.

Jamais Fabrice Revault ne perd de vue l’œuvre qui sert de matériau à son propre travail. Généreusement, il dévoile, un peu comme on pourrait se mettre à nu, ses sentiments intimes sur le film de Sam Peckinpah. Enfin, un critique s’expose et son absence de consensus fait presque figure de témérité. La grande force des propos développés par l’écrivain tient en ce qu’ils sont aisés à comprendre (non dissimulés qu’ils sont derrière une barrière référentielle absconse) et qu’ils appellent à la discussion. Car dans tout ce qu’il dit et pense, il semblerait que Fabrice Revault nous autorise à ne pas forcément être d’accord. 
Entièrement nimbée de l’ambiance et des images du film, La Horde sauvage par Fabrice Revault est une dérive vers l’univers aride et joyeusement mortel de cette bande de hors-la-loi jouisseurs mais profondément humains. L’auteur invite Nietzsche ou Deleuze à apporter leur contribution à la signification du récit, mais toujours à l’aune de ce qu’a voulu engendrer le seul véritable auteur : Peckinpah, et personne d’autre.
Cette Horde sauvage de Sam Peckinpah est donc à la fois un vibrant hommage, un texte à l’écriture poétique et délicate et, avant tout, la transmission d’un amour passionné du cinéma. Ce qui prouverait qu’il existe encore un espace d’expression sincère et utile hors des rapports d’anecdotes, listes vaines et commentaires de box-offices… Ce qui nous réjouirait presque autant que l’apparition d’un film aussi libre que celui-là.

Laurent Cuiller

Extrait Rire de mourir 

 Marche tragique, détachée, riante 
Pacotille adolescente : merveille, trésor. 
Être une bande à part, hors la loi commune.
 Être une horde sauvage, tout s'autoriser, tout ravager, et puis crever.
 Être des desperados. S'attaquer aux riches, prendre leur fric, s'emparer de leur train, de leurs armes. Aider les pauvres, les op­primés, la révolution. Massacrer la soldatesque du pouvoir. Y laisser sa peau.
 Être des gros durs, entourés de gros cons que l'on entourloupe. À l'occasion et en prime, être des gros porcs, entourés de gros seins dont on se bâfre. Vivre dans la violence et dans la débauche. Sans lendemain, voués à une mort prochaine.
Le savoir, et la rejoindre en riant.

Souveraineté jouisseuse et rieuse. Règne solaire de ces marginaux, de ces individus sans comptes à rendre, affranchis des liens sociaux. Triomphe de l'individualisme, bien américain ? Triomphe de l'individu : du Nietzsche à l'américaine !
 Triomphe de l'anarcho-individualisme, mais en bande, que l'on retrouvera d'ailleurs dans le Convoi (Convoy, 1978), où les routiers remplaceront les cavaliers, heureux d'être hors la loi, prêts à en crever.

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