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TERRAIN CONNU


Émilie Danchin TERRAIN CONNU









2011 88 pages 17 x 21 cm 20.00


Émilie Danchin pratique le portrait et, au détour d’« entretiens photogra- phiques », cherche à matérialiser l’inconscient. « J’ai songé à ces endroits où l’on tend, sans vraiment savoir pourquoi, à se perdre dans nos pensées. On ne s’y oublie pas pour autant, bien au contraire, car si l’on semble s’y perdre, on y est solidement ancré. » […]



[…] Partant de thématiques introspectives comme hypothèse de travail, Emilie Danchin présente des séries de portraits où les modèles semblent aux prises avec eux-mêmes sans s’en rendre compte. « Au fur et à mesure de la découverte des images, ce qui me frappe, dit-elle, c’est l’apparition de postures. Les modèles oscillent entre une rigidité et une spontanéité particulières. Ils nous racontent quelque chose qui les regarde mais qui leur échappe.» Attentive aux espaces d’ouverture, aux moments d’abandon, Émilie Danchin mise sur l’échange photographique pour enrichir un rapport au monde. La dimension à la fois frontale et inconsciente du travail ouvre à des légers déca- lages, à des confrontations qui, sans avoir jamais rien de spectaculaire, nous tirent du côté de l’étrange, du rêve éveillé, d’un questionnement sur ce qu’approcher le visage de l’autre peut dire... Française d’origine, Émilie Danchin vit à Bruxelles depuis 1988. Philosophe de formation et photographe, elle articule son travail autour des mécanismes de la psyché. Également formée à l’analyse jungienne et à l’hypnose erickso- nienne, elle a développé un cadre thérapeutique expérimental proche de l’art-thérapie, qui inclut la photographie (s’appuyant sur le fait que l’inconscient se manifeste, entre autres, par des images). Ses photographies sont majoritaire- ment en noir et banc, associées à du texte ou du son. Elle expose régulière- ment depuis 2004. Elle publie son premier livre chez Yellow Now (série Angles vifs), préfacé par Jacques Sojcher et agrémenté d'un entretien avec Emmanuel d'Autreppe, à l’occasion d’une exposition à la Maison Pelgrims à Bruxelles. www.emiliedanchin.be - www.analytiquephotographique.be

INTRODUCTION DE JACQUES SOJCHER L’Autre scène

Ce sont des images, bien sûr. La photographie transforme le réel en image et, en même temps, l’imagine, change notre regard sur le réel. Où est le réel ? Où est l’image ? Sur la photographie.

C’est fixe. Ca nous regarde sans nous voir. Ce ne nous est pas adressé. Nous sommes absents de cette scène. La distance sera tenue. Les lieux : des arbres, l’orée d’une forêt, avec ou sans personnes. Des animaux : chats, chiens, avec hommes, femmes, enfants et l’herbe, les fougères. Cela forme une scène, un décor, presque abstrait, un rêve éveillé, sans affects.

Un homme marche, bras en avant, surpris dans son mouvement, arrêté. Derrière lui, une maison à colombage. Il est dans un jardin un peu sauvage. C’est une scène de film. On peut inventer l’histoire, la visionner dans sa tête, puis l’écrire. Voilà : la photographie fait écrire. Un homme est à demi couché sur l’herbe ; derrière lui, des arbres. Il fixe de son regard inquiet on ne sait qui, on ne sait quoi. C’est une scène de film – encore. Une petite fille, habillée en princesse, avec un diadème. Elle rattache une boucle d’oreille. Un rideau encadre la scène. Les arbres, à l’arrière, comme un décor. Absente à elle-même, petite princesse de théâtre.

Le format : un carré. Du noir et du blanc. De la lumière et des ombres.

Des personnages, souvent à la pose, debout ou assis, au regard absent, les yeux fermés ou distraits par un songe. Ou se cachant le visage, entre fatigue et méditation. Devant un verre de vin, un homme endormi ; à l’arrière, un mur de briques. L’un se tient les mains, l’autre met la main au menton. L’un effleure de la main un journal, l’autre croise les mains – derrière lui, le blanc des voiles, de la lumière qui adoucit. L’un soutient la tête avec une main repliée et, de l’autre, accoudé à une table, il tient une cigarette, absent à soi-même – encore.

C’est une femme, à demi couchée sur un divan, la tête appuyée à un coussin, le bras gauche levé, les doigts repliés, l’autre main sur le pantalon noir – tout est noir sur fond blanc d’un mur en briques. Son regard est ailleurs, elle habite et n’habite pas ce lieu vide. Et voici Emilie Danchin – autoportrait comme on dit – contre un arbre. Des initiales sont gravées sur l’écorce. Le châle qu’elle porte ressemble à la fourrure d’un animal. Seul son visage échappe à la matière, mais ses cheveux cachent un œil et l’autre fixe quelque chose ou quelqu’un qui n’existe sans doute pas.

Les mises en scène se succèdent. L’artifice du décor diffuse une légère inquiétude. Une sorte de Liz Taylor orientale est assise sur un trône en stuc. Une femme touche de la main, le bord d’une baignoire, dans une sorte de grotte. Un homme, devant une plaque triangulaire en béton, tend les mains, ouvertes. Théâtre, oui – encore. Ou des natures mortes : alignement de têtes d’enfants en celluloïd sur une commode. Animaux empaillés ou sculptés, simulant l’agressivité, carcasses de bêtes à l’abattoir. Donc la mort, ou le jeu avec la mort.

Femme couchée – endormie ? – à l’orée d’un bois. Petit garçon couché dans l’herbe avec un chien. Femme recroquevillée, sur elle-même, dans une baignoire. Et la vie : la présence d’enfants. Fillette assise sur une chaise de jardin, tenant dans ses mains un crocodile en plastique, la gueule ouverte. Petite fille dessinant. Garçon criant, penché en avant. Personne ne communique. Tout est dépossédé de soi (personnage ou nature). Dans une cabine téléphonique, un homme regarde peut-être un champ vide. Et si la photographie ne communiquait pas ? En réserve du réel ? Terrain connu, dit Emilie Danchin. Autre scène d’un terrain, rendu à son énigme.

Jacques Sojcher, Bruxelles, mars 2011

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